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Randy Holden, entretien avec un guitar god


Steven Jezo-Vannier, le 03/12/2014

Population II, Lucifer et la chute


SJV : Après la déception Blue Cheer, vous créez votre propre formation, un duo avec le batteur et claviériste (!) Chris Lockheed : Randy Holden Population II, racontez-nous sa création et votre ambition artistique.


RH : J'avais toujours gardé l'ambition de créer mon propre groupe. Je n'avais pas encore vraiment eu la possibilité de le réaliser ; mes précédents groupes s'étant pour la plupart formés avant mon arrivée et rarement avec mon concours. J'avais besoin de tenter l'aventure.


Au fil du temps et des expériences, j'avais acquis la conviction que moins un groupe compte de membres, moins il y a de désaccord et donc, mieux il fonctionne. À deux, les conflits sont plus simples à résoudre qu'à plusieurs. Il y a tellement de problèmes d'ego dans les groupes, et le manque de sincérité et d'honnêteté est un fléau. Les musiciens avec lesquels j'ai joué ont toujours eu de fortes personnalités, avec lesquelles il fallait rivaliser ; beaucoup d'entre eux concevaient un groupe comme une compétition de talents et pas une harmonie. Il y a toujours un membre qui parvient à s'imposer et contribue plus que les autres à la conception artistique, d'autres moins, voire pas du tout. Dans les deux cas, les uns peuvent reprocher aux autres leur degré d'implication... Il y a tellement de tire au flanc dans le milieu, des types qui se laissent porter, qui exigent un traitement égal, mais ne fournissent pas le moindre effort, c'est regrettable que tous n'aient pas la même exigence envers eux-mêmes, que tous n'aient pas la profonde motivation de donner et de produire le meilleur. Dans mes formations, j'ai souvent été à l'initiative, pour tout. Et si je voulais conserver le groupe, je devais donner une part égale à chacun, sinon, il me fallait engager des musiciens accompagnateurs, mais l'énergie créative est rarement au rendez-vous.


Tant qu'il y avait de l'enthousiasme, je restais positif.


Nous avons eu beaucoup de travail pour Population II. Les débuts n'ont pas été simples et il a fallu attendre un certain temps pour que les choses deviennent vraiment amusantes et que l'on prenne notre pied. À force de répétition, nous étions en mesure de donner un show vraiment sensationnel. Nous répétions jour après jour, drogués de travail et de musique, jusqu'à la perfection, pas une note n'était omise ! Si nous avions poursuivi ensemble, je pense que le groupe aurait pu accomplir quelque chose de formidable, au-delà du sensationnel... je voulais vraiment y parvenir...



SJV : Un unique album est produit en 1969, puis le groupe devient Lucifer, et tel l'ange déchu, vous sombrez. C'est la faillite, vous perdez tout. Votre réaction est de quitter la scène musicale. Comment se reconstruit-on et que fait-on après une carrière si intense ?


RH : Cet échec a été un désastre affectif. Il y avait en effet un terrible parallèle avec la chute de Lucifer, l'ange tombé du ciel, la plus belle création de Dieu qui a sombré à cause de son ego surdimensionné, parce qu'il pensait être l'égal de Dieu...


La chute fut très difficile : passer du jour au lendemain de l'extrême motivation de créer et de produire quelque chose de formidable au rien, à l'abandon et la perte de tout, Dieu que c'est dur à surmonter ! L'idée du suicide est devenue une pensée familière, une étrange compagne du quotidien, mais ce n'est jamais une réponse. Il restait de nombreuses questions et le plus difficile a été de ne pas comprendre.


La maison de disques ne nous a rien donné, pas même une explication. Un jour les dirigeants nous ont dit sur un trottoir : « Je ne comprends pas comment vous, les enfants, vous pouvez faire ça, aller à la plage tous les jours et passer votre temps à prendre du plaisir ». Je n'avais aucune idée de ce qu'il me racontait ni même de ce qu'il voulait dire... Je travaillais vingt heures par jour, sept jours sur sept, je travaillais et me battais pour réussir ! Et le label pensait que je passais mon temps à la plage ? Comment ces hommes pouvaient-ils imaginer ça ? Comment pouvaient-ils être en tel décalage avec ma réalité ? Ce type était tout simplement un con qui n'avait aucune idée de ce que nous faisions, pas une seule fois il n'est venu nous voir en studio ou en répétition... il n'a jamais rien fait d'autres qu'attendre les bénéfices. Ce qu'il suggérait était incroyable, ça ne méritait même pas de réponse. Enfin, toujours est-il que j'étais dans le pétrin avec les gens de la maison de disques.


On ne pouvait pas discuter avec les gens qui dirigeaient le label, ils étaient si éloignés du monde. J'avais même eu du mal à comprendre comment et pourquoi ils avaient pu proposer un contrat à un mec comme moi ! Puis le temps a passé, et je ne comprenais pas pourquoi mon album ne sortait pas, pourquoi la maison restait silencieuse sur le sujet. J'ai commencé à m'interroger sur les raisons véritables de notre contrat. Je me demandais sincèrement si le label n'était pas au service de la CIA et de l'administration Nixon, utilisant la compagnie pour recruter des artistes et les empêcher de publier leurs disques, une façon d'abattre la musique rock et les voix de la contestation antiguerre. Il semblait n'y avoir aucune autre raison apparente à la politique menée par la maison de disques. Le pouvoir voulait de la douce musique acoustique et certainement pas de hard rock ou de heavy metal, un style susceptible d'exacerber la colère ambiante. Ainsi, à l'opposé du spectre musique, les majors promouvaient des artistes comme Don McLean et son “Bye Bye Mr American Pie”. Peu à peu, j'avais acquis la certitude d'avoir atterri sur la liste noire de Nixon.


Le nom Lucifer n'a pas aidé, c'était comme s'il nous condamnait d'avance. Les gens ne connaissent pas la véritable histoire de l'ange déchu, ils ne comprennent pas le sens de la référence et nous condamnent immédiatement, c'est une sorte de mise au ban automatique.


Je suis fasciné par tout ce que j'ai pu apprendre de l'histoire réelle de Lucifer, notamment sa dimension artistique et théâtrale.


L'Église elle-même en dit et en sait finalement très peu sur l'histoire de ce personnage. Il y a un petit point intéressant dans Isaïe 14:12-27, mais guère plus. Il y est comparé au roi Nabuchodonosor de Babylone, qui avait atteint la plus haute place parmi les hommes avant de tomber. Comme Lucifer, il a été appelé le « Fils du Matin ». Habituellement, la référence à Lucifer impose la confusion avec Satan et l'essence du mal, mais Lucifer est son nom avant la Chute.


Les gens se trompent en appelant le diable Lucifer, mais il est difficile de corriger l'erreur. C'est pour cela que j'ai fait des recherches et que je me suis intéressé à la question. Mais si je disais aux gens que mon groupe s'appelait Lucifer et que j'expliquais de fond en comble la nature réelle de cette référence et du personnage, cela n'aurait fait que renforcer le sentiment de méfiance à mon égard, cela m'aurait rendu un peu plus étrange et mystique aux yeux des autres. Il semblait donc préférable de ne rien dire à ce sujet et d'éviter de prononcer ce nom. Les gens deviennent suspicieux dès que l'on évoque ce récit et notamment sa portée conceptuelle et artistique, comme s'ils en avaient peur, comme si c'était le diable en personne...


SJV : Je suis certain que les lecteurs sauront faire la part des choses. Pouvez-vous nous expliquer le sens de la référence à Lucifer ?


RH : Mes recherches personnelles m'ont conduit à un unique récit : Lucifer était un ange, la plus belle création de Dieu, si belle qu'elle a voulu devenir l'égal de Dieu lui-même. Pour cela, il a été chassé des cieux, car il ne pouvait y avoir qu'un Dieu... Un accord a été passé entre Dieu et Lucifer, qui est devenu Satan dans sa chute. Lucifer a obtenu de Dieu qu'il laisse les hommes choisir, qu'il les laisse décider qui de Dieu ou de lui était le plus grand. La décision impliquait que l'élu des Hommes chasse l'autre et siège pour l'éternité. Les hommes ont choisi Dieu. L'histoire et la Bible ont simplement omis de dire que l'homme avait le pouvoir, c'est pourtant là que réside le cœur symbolique du récit. Ils ont également oublié de dire que les Hommes devaient ce pouvoir à Lucifer.


Pour rendre les choses plus confuses encore, je me suis rendu compte que Jésus était également appelé « l'étoile brillante du matin », comme Lucifer. Jésus serait-il un successeur de Lucifer à ce titre, à ceci près que le Christ est jugé plus « brillant » que son prédécesseur ? Certains considèrent même que Jésus est un avatar de Lucifer lui-même. La distinction entre le diable et le fils de Dieu est mince... Mais allez expliquer ça aux gens ! Si la difficulté conceptuelle de ce récit et de sa portée symbolique peut vous conduire au bord de la folie, le regard des gens à qui vous en parler vous y pousse aisément. Tout ceci a pourtant nourri mon théâtre musical, alimenté mon interprétation musicale de raisonnements philosophiques.


SJV : Sons of Adam, Lucifer, God... les références à la mythologie chrétienne sont nombreuses dans votre parcours, pourquoi ?


RH : C'est une observation intéressante et une très bonne question de demander pourquoi. Je ne sais pas si je suis en mesure de dire pourquoi, je dirai que c'est une attirance inconsciente, une compulsion du même genre que celle qui me pousse à jouer de la guitare, une chose qui vient du plus profond de moi, qui est lié à la question même de mon existence. Je pense que les noms m'intriguent et m'attirent, mais ce qui est le plus étonnant c'est qu'aucun d'eux ne vient de moi ! Je ne les choisis pas, ils me choisissent. Ils viennent tous de propositions extérieures. Il y a même quelque chose d'amusant à voir que ce même thème revient à travers des personnes et des moments totalement différents et sans liens les unes avec les autres, sans liens autres que moi et ma musique. Je n'ai aucune explication à donner, sauf à dire qu'il se passe des choses à un autre niveau et que les choses ont un sens...


Par exemple, lorsque le producteur Kim Fowley est venu à nous avec le nom de « Sons Of Adam », j'ai immédiatement pensé que c'était un nom significatif, pour toutes sortes de raison, et que c'était un bon nom.


Ensuite, Lucifer était une idée de Chris Lockheed, même s'il ne s'en souvient plus aujourd'hui. Je n'étais pas satisfait des noms potentiels que nous avions au départ, je trouvais qu'aucun d'eux ne correspondait bien à ce que nous faisions comme musique. Je m’apprêtais donc à partir sous mon propre nom lorsqu'un soir, le nom a jailli de l'obscurité... Je me souviens que nous étions dans une chambre d'une grande maison que nous habitions à l'époque, et nous étions éclairés à la bougie. Chris déambulait dans la pièce en feuilletant un dictionnaire. Il s'est arrêté sur un mot et il a dit : « Hey, pourquoi pas Lucifer comme nom ! » J'étais un peu surpris et je me demandais surtout l'effet négatif que pouvait avoir ce genre de nom sur le public... La connotation était forte et le public pouvait mal le prendre, j'ai donc calmé son enthousiasme. On en est resté là. Et puis quelques mois plus tard – je ne me souviens plus exactement combien de temps après –, nous nous sommes retrouvés dans les mêmes circonstances : tous les deux, dans la chambre, à la bougie, le dictionnaire... et Chris a dit « Hey pourquoi pas Lucifer ? ». C'était comme une très forte impression de déjà vu, et je lui ai dit : « tu te souviens que tu m'as dit la même chose l'autre jour ? » Mais Chris n'avait aucun souvenir, c'était très étrange.


Nous étions un duo, deux musiciens nés le même jour (2 juillet) à deux ans d'intervalle... il y avait une sorte de connexion éthérique, mystique, entre nous. La situation était trop extraordinaire ce soir-là, alors j'ai dit « Ok, ce sera Lucifer, ainsi soit-il ». À partir de là, beaucoup d'autres choses très étranges ont commencé à se produire.


De mon point de vue, ce fut de l'art et tout cela excitait ma fibre théâtrale et mon envie de livrer quelque chose de vrai, d'authentique. Si seulement il existait un moyen conceptuel de traiter avec lui pour être en mesure de produire un travail musical lumineux... J'ai essayé d'apprendre tout ce que je pouvais, mais cela ne m'a jamais permis de dire « voilà comment il faut faire ceci ou cela ». Par la suite, les choses ont commencé à se désagréger dans notre petite formation, et l'histoire a rejoint le mythe, ce fut la chute... il ne nous restait plus qu'une question, ce nom était-il vraiment une bonne idée après tout ?


Bien des années après, lorsque le phoenix renaquit de ses cendres, quelqu'un du nom de Randy Pratt est venu à moi, c'était un fan qui me cherchait depuis quatre ans. Lorsqu'il m'a enfin retrouvé, il m'a annoncé qu'il avait trouvé en moi le « Dieu de la guitare »... Il a exigé que j'accepte un cadeau de sa part, une guitare, sur laquelle il me demandait de jouer et de composer à nouveau. C'est elle qui m'a donné l'envie de revenir à la musique et c'est elle qui donne son nom à l'album : Guitar God.


SJV : Vous qui êtes d'une certaine façon un précurseur du metal, quel regard portez-vous sur les accusations qui lui sont faites ?


Je ne suis pas sûr de bien connaître les charges retenues contre le metal ; ce qu'on entend ici ou là émane de l'arène religieuse où quelques idéologues taxent cette musique de maléfique et de diabolique. Pour ce qui est de la référence, tout ce que je peux dire à ce sujet, c'est que la musique et l'art sont des formes d'expression émotionnelles, réfléchies et réfléchissantes... Ce sont les défis et les problématiques de nos sociétés qui ramènent l'artiste et son art au cœur du débat. L'art ne peut être mauvais par nature, comme il ne peut faire le mal. Le mal est ce qui nuit délibérément à quelqu'un. Le mal habite déjà les sociétés que nous fréquentons, les artistes se contentent de le mettre en lumière, de le refléter dans le miroir de leur art pour confronter la société à sa propre image et à ce qu'elle renvoie de plus négatif. Cela ne veut pas dire que ces artistes heavy ou leur musique sont la source de cette négativité et de ce mal. Il y a une grande différence, une différence fondamentale, entre le miroir et l'image qu'il réfléchit. L'origine de l'image vient de celui qui se regarde, pas de celui qui tient le miroir ! Le raisonnement est enfantin pour quiconque n'est pas aveuglé par la superstition et le dogme. Ces gens-là oublient qu'ils sont les premiers à accuser des innocents et oublient tout aussi vite le mal réel commis par de vrais méchants. L'ignorance chasse des sorcières où il n'y en a pas ; or, s'il devait y avoir des monstres dans cette histoire, il faudrait plutôt les chercher du côté de ceux qui dressent des bûchers pour soi-disant punir le mal.

Commentaires
Saint-Nec-Terre, le 28/06/2015 à 11:21
Randy Holden parle du Hollywood Shuffle. Un autre membre de Blue Cheer, Bruce Stephens a lui, écrit un morceau qui s'appelle "Fillmore Shuffle". Marrant.